[Nouvelle IPO sur le NYSE. Didi Chuxing, le géant chinois des VTC, vient tout juste de s’introduire sur la place new-yorkaise. Même si sa première séance est plutôt mitigée – à l’image des premiers pas d’Uber en son temps –, elle a tout de même permis à l’entreprise de dégager quelque 4 Mds$ de cash pour continuer à financer son expansion. Et les premiers actionnaires à se frotter les mains ne sont autres que SoftBank et… Uber ! Alors, Didi ? Bon ou mauvais plan pour l’investisseur particulier ?]
Cette IPO a d’ores et déjà permis à Didi de dégager 4 Mds$ de cash
Didi Chuxing, le géant chinois des VTC, a débarqué hier à la Bourse de New York sous le ticker évocateur DIDI. L’entreprise est valorisée un peu plus de 60 Mds$. Vendu en haut de la fourchette pré-IPO, à 14 $, le titre a grimpé à 16,65 $ pour clôturer ensuite à 14,14 $… Une première séance en demi-teinte donc. Des débuts qui ne sont d’ailleurs pas sans rappeler ceux d’Uber qui avait eu bien du mal à s’introduire à 90 Mds$ – largement en dessous des espoirs initiaux – et avait fini sa première journée à -7 %.
Quoi qu’il en soit, revenons à essentiel : cette IPO a d’ores et déjà permis à Didi de dégager 4 Mds$ de cash pour continuer à financer son expansion. Ce qui n’est pas rien, vous en conviendrez. D’ailleurs, certains actionnaires s’en frottent déjà les mains… C’est le cas du géant japonais SoftBank.
SoftBank, grand gagnant de l’IPO de Didi
Beaucoup avaient raillé SoftBank après l’échec de WeWork ou, plus récemment, la revente à perte d’une partie de ses activités de robotique. Mais n’oublions pas pour autant que SoftBank a également fait de beaux retours sur investissements.
C’est le cas de Coupang, le géant de l’e-commerce coréen, dont l’IPO lui a offert pas moins de 16 Mds$ ! Le fonds japonais, qui ne manque pas de liquidités, n’a d’ailleurs matérialisé cette plus-value qu’à hauteur de 2/3 Mds$.
Et puis SoftBank a encore quelques belles cartes en main, notamment Bytedance, l’éditeur de Tik Tok, qui pourrait se valoriser 250 Mds$…
Donc si la banque japonaise perd beaucoup, elle gagne aussi beaucoup.
Même les résultats de son Vision Fund – qui investit dans des startups et qu’on critique si souvent – ne sont pas si catastrophiques. Sa valorisation est certes passée de 80 Mds$ en décembre 2019 à 70 Mds$ à la mi-2020 mais ce chiffre est remonté au-delà des 100 Mds$ dès le printemps 2021, notamment grâce à l’IPO de Coupang.
Il est donc très facile de s’arrêter sur les échecs et d’occulter les réussites. Et certains analystes français sont passés spécialistes en la matière… Mais les réussites sont bien là, et il est bien dommage de les snober ainsi.
Ceci étant dit, et paradoxalement, le deuxième acteur à profiter de cette IPO est… Uber, le principal concurrent de Didi au niveau mondial.
Uber, autre gagnant de l’IPO de Didi
Pour faire court, il y a quelques années, Uber avait préféré se lancer dans une stratégie de partenariats, abandonnant au passage toutes velléités directes sur les marchés sur lesquels l’entreprise n’était pas leader. C’était notamment le cas en Chine où Uber avait échangé en 2016 sa filiale Uber China contre 13 % du capital de Didi.
Une participation qui n’a depuis fait que gagner en valeur :
Didi a opté pour la même stratégie en Asie du Sud. Positionnement qui a eu pour conséquence de transformer le secteur en une sorte de château de cartes géant, avec Uber en roi et Didi en reine – tous les autres se reposant plus ou moins sur leurs financements.
Cette stratégie d’Uber a été un coup magistral. Le groupe a construit grâce à cela une position de géant mondial que même Didi ne peut pas égaler, avec des participations (directes ou indirectes) dans beaucoup d’autres acteurs du secteur.
Mais, si on se focalise uniquement sur la Chine, le rapport de force change. En effet, selon plusieurs estimations, Didi détiendrait tout de même entre 70 % et 90 % du marché. De quoi lui permettre, en l’absence de concurrent de poids, de dégager une forte rentabilité.
Pour autant, avec une croissance de 5 % par an sur les trois dernières années, et considérant que 2020 a été lourdement pénalisée par le COVID-19, Didi ne devrait atteindre la rentabilité qu’entre 25 Mds$ et 27 Mds$ de chiffre d’affaires. La barre est haute. Et, même si le niveau de vie chinois progresse, il est problématique que la société soit encore en perte d’environ 8 % de son chiffre d’affaires. Surtout avec un quasi-monopole sur son secteur !
IPO de Didi : bon plan ou gouffre à liquidités ?
Dans son document d’introduction en Bourse, Didi nous explique que son marché adressable est de 6 700 Mds$, soit 8 % du PIB mondial… Précisons de suite que les activités de livraison de repas et de VTC sont estimées entre 600 Mds$ et 800 Mds$ selon différents instituts d’étude. Cela démontre clairement que Didi cherche à pousser le “Blue Sky Scenario”, le scénario idéal…
Pourquoi pas. Mais il ne peut pas se concrétiser sans un apport colossal. Problème : les coûts de Didi montrent une fâcheuse tendance à progresser plus vite que ses revenus… Et ce, pour la deuxième année consécutive. Un état de fait qui s’explique notamment par de lourds investissements dans les véhicules autonomes. Pour compenser, Didi tente bien de grappiller de la croissance en ciblant les zones où la concurrence est faible et la place de leader accessible. Mais ces zones sont de plus en plus rares…
Les coûts de Didi montrent une fâcheuse tendance à progresser plus vite que ses revenus
Pire, Didi s’est trop concentrée sur la mobilité. A l’inverse d’Uber qui mise sur un combo VTC + livraison de nourriture… Conséquence ? En Chine, la livraison de repas est donc dominée par un autre géant, Meituan (50 % de parts de marché), ce qui dorénavant empêche Didi de copier la stratégie d’Uber pour capter des parts de ce marché.
Autre contrainte pour le développement de Didi : les super apps qui ont tendance à centraliser un large éventail de services sur une seule et même application (messagerie, système de paiement, etc.). Cela crée des écosystèmes qui rendent captifs les utilisateurs, et qui ne les poussent pas à en rejoindre de nouveaux… Sur ce segment, en Chine, Alibaba et Tencent dominent le jeu.
On peut toutefois partir du principe que l’activité des véhicules autonomes a une valeur importante. Si l’on en tient compte, et en mettant de côté les coûts dus aux chauffeurs, Didi pourrait effectivement se rapprocher un peu plus de la rentabilité. Mais l’hypothèse ne tient plus dès lors que l’on sait qu’il existe un risque du côté du régulateur…
Le risque géant du régulateur chinois
Dans son document d’introduction en Bourse, Didi précise bien que le gouvernement chinois peut impacter négativement ses activités. Et ce, par différents moyens. L’entreprise sous-entend même qu’elle pourrait faire l’objet d’une attention renforcée de la part des autorités chinoises à l’avenir.
En effet, après avoir violement puni Alibaba, avec une amende de 3,6 Mds$. Après s’être attaqué à Tencent, les autorités chinoises pourraient bien s’en prendre prochainement à Meituan et Didi. En partie car ces deux géants sont connus pour avoir un comportement très agressif envers leurs chauffeurs, livreurs ou partenaires…
Je passe donc mon tour pour cette IPO
Il est donc possible qu’en plus de perdre du cash en opérationnel, Didi subisse aussi un violent coup du régulateur. Pour moi, c’est le risque de trop. Je passe donc mon tour pour cette IPO.
Néanmoins, je dois vous avouer que j’y participe indirectement… Je vous l’ai dit plus haut, Uber détient 13 % de Didi. Et, je suis actionnaire d’Uber.
Pour tout vous dire, je pense qu’Uber ressemble à Facebook dont le titre, après des débuts boursiers bien compliqués, s’est bien repris. Notamment grâce à sa position de leader et à sa capacité à la maintenir à coups de croissance externe, avec le rachat d’Instagram par exemple.
Uber a eu des débuts similaires mais a aussi démontré une certaine capacité à jouer des fusions pour obtenir des bloc d’actions d’entités plus grosses. Et ça, c’est une excellente nouvelle pour le long terme.
Vous l’aurez compris, je préfère Uber à Didi. Et puis, même si Didi s’envole, Uber en tirera largement profit et pourra monétiser sa participation à un très bon prix.
AMF : Arthur Toce est actionnaire d’Uber.