[En basant sa stratégie marketing sur un empilement de startups prometteuses, Snapchat se garantit un succès durable. Notre expert Arthur Toce reprend l’exemple de l’application star des messages éphémères pour nous expliquer pourquoi les plateformes misent sur l’avenir et rachètent des entreprises.]
Je vous ai parlé la semaine dernière des risques liés au législateur américain pour les GAFAM. Aujourd’hui, nous allons examiner la stratégie de croissance d’un petit géant de la tech US, Snapchat (NASDAQ : SNAP), et voir comment ces nouvelles règles pourraient entraver sa croissance.
Pour demeurer en permanence à la tête de la course dans sa partie, l’entreprise rachète en moyenne une société par mois… Elle a dépensé 830 M$ en 2020 afin de rester au top de la technologie sur l’intelligence artificielle et la réalité augmentée.
Le but pour Snapchat est d’acquérir les meilleures technologies pour aider au développement de ses services… Et il est bien plus simple de racheter les meilleurs dans leur domaine que d’essayer de les copier et de les égaler.
Ce mécano qui consiste d’abord à construire une base utilisateurs, puis à intégrer des services en allant acquérir de la compétence est le modèle de développement suivi par de nombreux géants de la tech en formation. C’est le chemin qu’a suivi Facebook ou Google et que chercher à reproduire Snapchat, Uber ou Square, mais aussi Twitter qui est reparti de l’avant dans ses acquisitions. Cela montre bien l’importance pour ces groupes d’acquérir des talents et des technologies.
La monétisation est tardive. La phase d’investissement à pure perte dure au moins 10 ans, mais pour ceux qui y parviennent, l’ARPU (revenu moyen par utilisateur) finit par exploser et assure alors une rente phénoménale.
C’est vraiment une toute nouvelle façon de créer de la valeur qui va à l’encontre de beaucoup de théorie de gestion d’entreprises.
Malheureusement, les nouvelles règles que pourrait imposer le législateur américain risquent de freiner cette stratégie de développement adoptée par la plupart des plateformes.
Acheter les briques manquantes de son lego
Snapchat a racheté une société par mois en moyenne. Je ne vais pas toutes les citer, mais juste explorer quelques angles stratégiques du développement de la plateforme Snapchat, notamment la géolocalisation et le commerce par la réalité augmentée.
En juin 2017, SNAP rachetait Zenly pour 250 M$. Zenly était une startup française spécialiste de la géolocalisation. Son application ludique permettait de situer ses amis sur une carte interactive et offrait l’avantage d’utiliser très peu de batterie.
Quelques mois plus tard, Snapchat avait intégré la technologie de Zenly dans son application star et inaugurait les « Snap Map ».
La Snap Map. Source : Snapchat.
En janvier 2021, SNAP acquiert StreetCred, une société spécialiste des jeux mobiles basés sur la géolocalisation. L’idée est simple : encourager les utilisateurs à mettre à jour la base de données en les récompensant avec des points.
Combiné à Snap Map, l’entreprise pourrait faire concurrence à Google Maps ou aux applications comme City Mapper. L’idée est de motiver la communauté pour remonter le plus d’informations possible et d’avoir la carte la plus juste possible.
Et Snap pourrait à terme utiliser des fonctions de publicité « In Map » comme Google le fait dans Waze par exemple.
Voici donc la pensée stratégique de Snapchat : elle reprend Zenly qui lui permet de créer Snap Map, puis StreetCred pour optimiser sa carte. C’est un véritable Lego technologique. Et ce n’est pas tout, car Snapchat a toujours misé sur la réalité augmentée pour attirer des utilisateurs
Comment monétiser ses utilisateurs avec la réalité augmentée
LIRE LA SUITE
Après des années centrées sur la croissance du nombre d’utilisateurs, Snapchat se lance désormais dans la monétisation avec de nouvelles technologies et vient concurrencer Facebook et Google.
SNAP sait désormais que son appli aura du mal à atteindre le milliard d’utilisateurs actifs et qu’il doit absolument optimiser le CA par utilisateur. Cela passe par une maximisation du temps passé sur la plateforme et le développement de tout un tas de produits annexes comme Snap Map.
Evolution des utilisateurs actifs quotidiens. Source : Présentation investisseurs Snapchat.
Le but est d’optimiser l’ARPU (average revenue per user – revenu moyen par utilisateur) avec l’intégration de fonctions e-commerce. Pour être viable, il faudrait tendre vers des ARPU de long terme supérieurs à 20$. Elle oscille actuellement entre 2$ et 3,50$ par trimestre.
C’est un bon début puisque la société commence enfin à générer du cash avec ces activités. Pour la première fois, au T1 2021, elle est parvenue à 126M$. Si cette tendance devait tenir dans le temps, nous aurions à coup sûr une plateforme destinée à durer.
Mais cela sera-t-il suffisant ?
Evolution du cash flow. Source : Présentation investisseurs Snapchat.
Et c’est pourquoi on peut distinguer une autre série d’achats par Snapchat.
Toujours en janvier 2021 Snap reprend Ariel AI qui fait des modélisations de personnages 3D en temps réel. Là encore cela pourrait servir à Snap Map pour modéliser des lieux, mais aussi des publicités en permettant aux jeunes de modéliser leur avatar et d’essayer des vêtements directement dans Snapchat.
Snapchat a également avalé en novembre 2020 Voca.ai pour 120 M$. La startup israélienne est spécialiste des IA vocales pour les services clients.
Non rentable, l’entreprise gérait pourtant déjà 2 millions d’appels par mois au moment de son rachat. Impossible de savoir aujourd’hui comment Snapchat compte l’utiliser, mais il ne fait aucun doute que des fonctions liées devraient apparaitre prochainement dans l’appli.
Dans l’e-commerce, la plateforme vient d’acquérir en avril 2021 l’application ScreenShop qui permet d’identifier le style vestimentaire d’une personne d’après une photo et de trouver dans la base partenaire des vêtements se rapprochant de son style. Encore un moyen pour Snap de proposer aux commerçants de nouvelles manières de monétiser auprès de ses utilisateurs.
Snapchat est même aller jusqu’à racheter son fournisseur WaveOptics pour 500 M$ voici quelques semaines en mai 2021. Cette société est spécialisée dans les écrans de réalité augmentée. C’est elle qui fournissait les verres des lunettes Spectacles de Snap. Ce rachat a pour vocation de conserver une avance technique sur les concurrents en les empêchant d’accéder à cette technologie.
Un axe stratégique se détache clairement chez Snapchat : une vision orienté innovation extrême avec une exploration et un investissement très important dans le domaine de la réalité augmentée.
On est en droit de se demander si le risque le plus important des GAFAM n’est pas le passage à un internet basé sur la réalité augmentée et la réalité virtuelle, plutôt que la règlementation US. Si ces nouveau modes d’accès et de consommation devaient s’imposer, Facebook et Snapchat auraient des cartes maitresses.
En tout cas, une chose est sûre, Snapchat mise, comme Facebook, sur cette disruption du marché, une disruption digne de l’arrivée de l’iPhone.
Et Jeudi dernier, alors que cet article était finalisé, Snapchat nous a annoncé un partenariat avec Universal Music dans la droite ligne de ses acquisitions technologiques ! Le but ? Permettre d’intégrer de la musique sous licence Universal Music dans ses snaps.
En effet, Snapchat a lancé en octobre 2020 une fonction à la Tik Tok : la possibilité de faire des clips avec de la musique sous licence. Non exclusif, l’accord vient s’ajouter à ceux existant déjà avec Sony, Warner Music et d’autres.
Ce qui est encore plus intéressant, c’est la possibilité offerte à Universal Mucis de proposer des clips en réalité augmenté de ses artistes.
A force d’innovation, le groupe attire les détenteurs de licence et s’assure une légitimité que d’autres plateformes auront du mal à créer.
La chance de Snapchat est également que les plateformes chinoises sont de plus en plus limitées à l’international.
Le but d’une startup deep tech ? Se faire racheter !
En conclusion, revenons aux lois qui pourraient limiter qui pourraient limiter les capacités de déploiement des géants du numérique et leur compliquer la vie. Il faut aussi bien comprendre que cela limiterait beaucoup de choses pour les acteurs, petits et grands, du numérique.
Eh oui ! Presque toutes les entreprises de Deep Tech naissent avec la seule ambition de finir dévorées par un géant qui exploitera leur technologie… En effet, la technologie seule sans la plateforme n’a que peu de sens ; et faire émerger une plateforme à partir d’une technologie demande des dizaines de milliards de dollars.
En tapant trop fort, le régulateur risque donc de limiter l’innovation, ce que les GAFAM se feront un plaisir de lui rappeler… tout comme d’autres acteurs comme les Venture Capitalists ou les banquiers de Wall Street.
Autre point sûrement bien présent à l’esprit du législateur américain, limiter ses propres géants pourrait aussi pénaliser l’Oncle Sam dans sa lutte technologique contre la Chine.
Autant de raisons qui devraient pousser les politiques US à la tempérance.